Galère heureuse.

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Par Solal Maman
2 mai · 2 mn à lire
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L'autre petit-fils de ma grand-mère.

Où je veux que ma grand-mère cesse de s'inquiéter pour moi.

Mes grands-pères ont disparu, laissant à mes grands-mères le soin de nous aimer. L’une d’elles habite dans le Périgord, l’autre sur les bords de la Garonne. Je ne les appelle pas assez.

Lorsqu’elles évoquent la relation qu’elles ont avec leurs grands-parents, certaines personnes m’époustouflent. Ça rivalise de simplicité, d’évidence : on dirait à les entendre qu’ils sont amis.
Je ne suis pas l’ami de ces deux femmes âgées qui m’aiment et que j’aime. Je suis leur petit-fils.

Tout à l’heure, j’ai appelé celle du Périgord. Cela faisait trop longtemps que nous ne nous étions pas parlés et je sais le plaisir que ça lui fait lorsque je prends l’initiative. Elle a décroché presque aussitôt, a demandé qui c’était d’une voix un peu enrouée, comme si elle sortait du lit - ce qui est rigoureusement impossible puisqu’elle se lève chaque jour à 6h tapantes, et qu’il était midi trente.

Je n’ai pas donné mon nom, j’ai juste dit “Comment ça va Mamie ?” et sa voix d’un coup s’est éclaircie. Elle s’est mise à me parler de la vie là-bas, de ma chère mère qui va bien, de cette grande tante qui va mieux. Elle me raconte qu’il y avait un anniversaire avec deux cochons qu’il fallait cuire à la broche, mais le vent était tel que la cuisson ne prenait pas, que seule la peau grillait. C’était un peu raté, c’était dommage ; il y avait suffisamment à boire mais ma grand-mère ne boit pas.

Elle se rend compte qu’elle a beaucoup parlé et me rend la parole. Elle me demande où j’en suis, je réponds vaguement que je vais plutôt bien. Elle se tait pour que j’en dise plus : je lui parle du beau temps qui revient en caprices, de mes projets de voyage pour cet été, de la natation, de mes amis. “Est-ce que tu fréquentes ?” me demande-t-elle. Je réponds que non, que je n’ai pas de copine en ce moment. Nous arrivons par élimination au cœur de ses inquiétudes.

- “Tu as un travail ?”

Ma grand-mère a toujours travaillé. Toute sa vie. Lorsqu’elle en parle, elle prend malgré elle des airs presque bibliques, vétéro-testamentaires : la vie des hommes ne vaut que par le travail. Il faut œuvrer, s’appliquer au labeur, mettre du cœur à l’ouvrage. C’est ainsi que l’on gagne sa vie, que l’on amasse de quoi faire face. On ne se trompe jamais lorsqu’on s’acquitte honnêtement de ses tâches ; on ne dort bien qu’à ce prix.

Naturellement, elle n’aime pas l’assurance chômage qui “fabrique des feignants”, elle aimerait la voir disparaître : la France irait mieux sans ça parce que les gens travailleraient. Je fais valoir que la plupart des chômeurs ne sont pas payés des sommes indécentes. Elle en convient mais cela ne change rien pour elle.

Puis elle me dit que ça ne la regarde pas mais que je devrais trouver un travail parce que tout de même, ça n’est pas sérieux. Elle s’inquiète pour moi et malgré les mille précautions qu’elle prend pour ne pas me blesser - elle ne voudrait pas que les rares appels que je lui passe cessent tout à fait - c’est plus fort qu’elle : il faut qu’elle me chapitre un peu.

Je lui dis que j’ai des entretiens, que je cherche. Elle grommelle un “ah oui ?” où je perçois un scepticisme absolu, puis elle passe aux aveux.

- Parce que quand les gens me demandent ce que tu fais, j’invente.

- Mais Mamie, pourquoi tu inventes ? Tu peux simplement dire que j’écris un livre, tu sais.
- Oui mais on ne vit pas de ça.
- Financièrement non, mais je ne veux pas vivre sans ça non plus.
- Tu pourrais faire journaliste, non ?
- C’est un livre que je veux écrire, ce n’est pas la même chose.
- Oui mais tu comprends qu’on s’inquiète, mon chou ?
- Je comprends mais il ne faut pas.

Ma grand-mère s’inquiète et cette inquiétude m’afflige, je la porte avec elle. Lorsqu’elle ment à ses connaissances, elle invoque un petit-fils fictif qui n’écrit pas de livre, qui travaille et qui réussit sa vie ; quant à moi, je disparais derrière lui. Ma pauvre Mamie fait des efforts d’imagination - encore des efforts… - pour ne pas avoir honte de moi et de mon livre qui n’arrive pas. C’est encore de l’amour, cette honte, c’est de l’amour qui tire comme de la peau trop sèche.

Je vois le Périgord Noir comme un vaste pays truffé de grottes et régi par les femmes. Les canards, les sangliers et les hommes ne le comprennent pas tout à fait mais y séjournent comme au paradis. Je ne sais pas si ma grand-mère comprendra un jour ce que je fais - j'ignore si je le comprends bien moi-même - mais je gouverne ma vie comme les femmes le Périgord ; et lorsque j'écris certaines phrases, j'ai l'impression de mordre au soleil dans un morceau de foie gras.

Ma grand-mère et moi, en pleine inquiétudeMa grand-mère et moi, en pleine inquiétude

Solal

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