Galère heureuse.

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Par Solal Maman
8 oct. · 1 mn à lire
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Boulos et les bombes.

Où je parle des bombes qui tombent sur Beyrouth et de mon ami qui voit leur feu.

J’ai été à Beyrouth un jour. C’était en 2019, vers octobre. Je logeais chez Paul, l’un de mes plus fiers amis. Il étudiait le journalisme à L’Université Saint-Joseph et me guidait dans des vadrouilles étranges. Sur les murs je voyais des visages barbus en majesté, des graffitis sauvages. Des fils électriques pendouillaient partout, reliant des immeubles dont la plupart semblaient inachevés. Je portais une veste Chevignon dans les larges poches de laquelle je fourrais mon carnet, mes stylos et, au fil de la journée, toutes sortes de souvenirs : des fleurs cueillies dans les gravats, des cartes de visite de commerces écrites en arabe, des sucrettes, des épines de cèdre et même une orange amère cueillie sur un bigaradier géant dans la cour d’une église.

En 2019, vers octobre, la thawra - révolution populaire libanaise - débutait. Des cortèges tous les soirs naissaient dans les rues pour condamner la corruption d’un pays vitrifié. Ils étaient jeunes, tous. Ils riaient souvent, portaient des drapeaux, voulaient se battre et faire la fête. Paul - qui se faisait appeler Boulos - et moi nous nous promenions avec eux dans des avenues que la nuit élargissait. L’armée fermait des rues, formait des nasses à certains lieux que je devinais de pouvoir. Nous savions que des violences éclataient çà et là, nous les entendions de loin, mais je ne me rappelle pas avoir vu de haine. Je me souviens d’un pays qui se brûlait à force de ne pas agir, de l’inertie d’un monde contre l’énergie du suivant. D’une roue qui frottait sans fin sur une plaquette de frein.

Cinq ans plus tard, je suis à Paris et Paul est toujours au Liban. Il n’est plus étudiant, mais journaliste à Ici Beyrouth. Tous les jours il voit de sa fenêtre tomber les bombes sur les quartiers sud de sa ville. Je crois qu’il n’a pas peur. Il travaille énormément et je pense à lui. Je voudrais être à ses côtés. La guerre est une énorme erreur qui remue dans le fond des hommes des émotions grandioses. Il y a la fascination du feu, la colère face au crime. Il y a le désir de comprendre ce qui se passe. Puis il y a le plaisir coupable de se trouver au milieu de l’histoire, de la voir se faire et d’en porter le témoignage. Être debout dans la mort et la regarder tomber comme la foudre. Paul, qui parle aussi bien qu’il écrit, tient la chronique du funeste anniversaire de la guerre ici :

Les bombes pleuvent et nous en sommes loin. Alors nous regardons la télé, les vidéos sur les réseaux, les articles de presse. Nous mélangeons tout ça et nous en servons pour bâtir à la hâte un avis immuable sur les gentils, les méchants. Si nous ouvrions plutôt nos fenêtres, nous profiterions du silence. Pour Paul, et pour les pays qui n’ont plus que la guerre.